Publié le mardi 02 mars 2010 à 06h00
FLORENCE TRAULLÉ >
florence.traulle@nordeclair.fr
Notre littoral vit sous la menace des eaux.
Ce qui s'est passé en Charente-Maritime et en Vendée ce week-end repose la question de l'efficacité des wateringues.
À Wissant (ci-dessus), où une partie de la plage recule en moyenne de cinq mètres par an, le littoral subit déjà la pression des éléments et la montée prévisible du niveau de la mer n'arrangera
rien. À l'intérieur des terres, les équipements des wateringues
C'est un polder d'environ 100 000 hectares, peuplé d'un demi-million d'habitants qui vivent dans un triangle Dunkerque - Saint-Omer - Calais. Un territoire situé
sous le niveau de la mer et asséché au fil des siècles où les marais ont été transformés en terres agricoles.
Les wateringues, c'est une très vieille histoire. On peut la faire remonter à 1169 quand Philippe d'Alsace, comte de Flandre, crée les « water rings » (les cercles d'eau) pour planifier
les opérations d'assèchement lancées deux siècles plus tôt par trois moines : Saint-Omer, Saint-Éloi et Saint-Vinoc qui avaient tout compris de l'intérêt du vaste delta de l'Aa.
Nous sommes en 2010 et s'il est un défenseur de ces terres basses aujourd'hui et à nouveau menacées par les eaux, c'est bien Jean Schepman. Ce conseiller général du
Nord et président de l'Institution départementale des wateringues (IDW) résume simplement son boulot : « Évacuer l'eau douce de ces terres vers la mer ». Les
wateringues sont organisées autour de tout un réseau d'ouvrages servant à réguler le niveau des eaux.
L'excédent est rejeté à la mer, à marée basse, grâce à l'écoulement naturel par les fossés et canaux ou par des puissantes pompes électriques.
Sauf que ce que l'homme a conçu, la nature le menace. Les ouvrages techniques datent. « La plupart des équipements ont été refaits dans les années 50 et 70 » mais ce n'est pas tant
qu'ils soient anciens qui l'inquiète. « On voit de plus en plus de crues bizarres, qui peuvent arriver à n'importe quel moment de l'année. Des pluies quasi tropicales, très brutales, et
les wateringues n'arrivent pas à gérer ces situations. » Pour Hervé Poher, vice-président du conseil général du Pas-de-Calais, chargé de l'Environnement, « le scénario catastrophe,
c'est une grosse pluviométrie, avec des défaillances techniques ». En novembre dernier, grosses pluies sur le Calaisis. « Comment ça a tenu, je ne sais pas... », lâche
Jean Schepman qui, en plus, a fait ses comptes : « En un mois, on a dépensé 350 000 E d'électricité pour faire fonctionner le système. C'est considérable ! On a mangé un quart de notre
budget annuel ! »
« On n'y arrive pas ! »
Sur la durée, ce n'est pas qu'il faille évacuer beaucoup plus d'eau qu'avant mais il faut le faire beaucoup plus vite. Techniquement, le système supporte un débit de 120 m³ à la seconde.
« Une crue décennale, c'est 140 m³ à évacuer à la seconde vers la mer. On n'y arrive pas » , se désole Jean Schepman qui a d'autres raisons de s'inquiéter. Le changement
climatique s'en mêle, provoquant et promettant une montée du niveau de la mer. Les terres des wateringues sont donc menacées des deux côtés. Par l'intérieur avec les eaux douces qu'il faut
rejeter à la mer et par la côte où la menace de voir l'eau de mer submerger les terres basses n'est plus un scénario hypothétique de film catastrophe.
Les dunes reculent
Les marées sont plus hautes, ce qui oblige à laisser les portes des installations rejetant l'eau douce à la mer fermées plus longtemps et, en prime, le risque de voir l'eau de mer passer
par-dessus les installations augmente. Si cela arrive à l'écluse Tixier de Dunkerque, ce sera la mer en pleine ville.
Ajoutez-y le recul des dunes (à Zuydcoote, en une seule tempête, la dune a reculé de sept mètres en novembre 2007), et vous avez une idée du tableau.
On le sait, les falaises de la région, comme à Wissant, sont très sensibles aux phénomènes d'érosion. « Le cordon dunaire y rétrécit petit à petit. Sur la partie ouest de la commune de
Wissant, la plage a reculé de 250 mètres en 50 ans. Cinq mètres par an, c'est énorme », observe Julien Henique, responsable de la division risques naturels à la Direction régionale de
l'environnement.
D'après une étude menée par les services de l'État, 90 % des ouvrages naturels du littoral (dunes, falaises) sont en mauvais état. Et presque un tiers des ouvrages en dur comme les digues. Les
experts, on l'a encore vu lors du sommet de Copenhague, ne sont pas tous d'accord sur les chiffres mais si la tendance est acquise, le niveau de la mer va monter. Savoir de combien fixe le degré
d'urgence. « Les Flamands tablent sur 50 centimètres d'ici à 2050, c'est-à-dire demain. Nous, on l'évalue à 30 centimètres dans un siècle », note Jean Schepman, convaincu que
les Flamands « ont une plus grande sensibilité que nous au risque marin ». Ils investissent dans les protections depuis plus longtemps et y mettent beaucoup plus d'argent (lire
ci-dessous).
Il faut dire que les Hollandais ont déjà donné, et comment... : en 1953, le sud du pays avait connu de brusques inondations. 1 835 personnes étaient mortes.
On comprend qu'ils aient pris de l'avance sur nous... wFl.T.
• Belges et Hollandais investissent déjà très lourd pour se
protéger
Un peu partout le long du littoral belge et en Hollande des travaux sont en cours pour sécuriser les côtes et lutter contre les inondations. Des investissements
énormes dictés par la nécessité de préserver d'immenses territoires. Les Pays-Bas, dont plus de la moitié des habitants vivent dans des zones situées en dessous du niveau de la mer, sont protégés
par 17 500 kilomètres de digues. « Les Pays-Bas sont le delta le plus sûr du monde », assure Charlotte Menten, une porte-parole du ministère néerlandais des Transports et de
l'Eau. Parmi les digues les plus impressionnantes, l'Afsluitdijk, au nord d'Amsterdam, longue de 32 kilomètres, date de 1932 et isole l'IJsselmeer, un lac d'eau douce, de la mer.
L'Oosterscheldekering, un dispositif anti-tempête au nord de la Belgique construit en 1986, mesure, lui, 8 kilomètres de long. Le gouvernement néerlandais veut anticiper la montée des eaux.
Un « Plan national de l'eau », d'un milliard d'euros par an jusqu'en 2100, doit être voté avant l'été. « Ça devrait nous garder les pieds au sec au moins pour les 100 années à
venir », explique Charlotte Menten, qui souligne que « 65 % du produit intérieur brut du pays est produit dans des territoires situés en dessous du niveau de la mer ». Ce
plan, qui prévoit le renforcement des protections déjà existantes, va aussi permettre des solutions innovantes. Le Rhin et la Meuse vont être élargis pour réduire les risques de crues. En
Belgique, un plan d'élévation des digues et d'élargissement du lit des rivières et canaux a été lancé après le drame de 1953 qui avait fait 18 morts en Flandre. Mais, en 1976, une
nouvelle tempête causait l'inondation de nombreuses localités. Le plan, qui devrait être achevé en 2011, va être prolongé avec notamment la création de plus vastes zones inondables sécurisées. En
parallèle, de nouveaux brise-lames seront construits en mer pour protéger la zone côtière. Ainsi, au large d'Anvers, une digue, haute de sept mètres, est en cours de construction. Et parce que la
technique ne pourra pas tout, en Hollande, des zones entières sont « dépoldérisées ». Des terres où on ne luttera plus contre l'eau, acceptant qu'elles soient inondées. Des fermes ont
été démontées et remontées plus loin. Dans un sens, là, l'eau a déjà gagné sur l'homme. wFl.T.
• Les terres sont menacées par l'eau mais les finances sont encore trop à
sec...
Avec un plan de 6 millions d'euros enfin dégagé, on va pouvoir répondre à l'urgence mais il faudra aller plus loin. Et éclaircir les responsabilités,
définir mieux qui paie quoi. Le système actuel des wateringues est trop compliqué pour durer ainsi. En 2005, mauvaise nouvelle pour les wateringues, « l'État nous a laissés tomber »,
raconte Jean Schepman « mais à force de tirer les sonnettes d'alarme, il s'est à nouveau intéressé à notre affaire ». Outre les études lancées pour évaluer la situation et décider de ce
qu'il faudra faire pour préserver ces terres des inondations, l'État, les Départements et l'Agence de l'eau ont lancé un plan d'investissement de 6 millions d'euros. Insuffisant pour Hervé
Poher, l'élu en charge de l'environnement au conseil général du Pas-de-Calais, pour qui ces sommes serviront juste à maintenir la capacité actuelle du réseau des wateringues pourtant « à
bout de souffle ». Le problème est qu'une loi datant de deux siècles fait incomber aux habitants de ces zones la charge financière que représente la protection contre les aléas naturels.
L'État a bien trouvé une solution : surtaxer le bâti dans les polders mais les élus locaux ne veulent pas en entendre parler. « Ce sont déjà les habitants et les communes qui paient
leur écot aux sections de wateringues », souligne Jean Schepman. Pour lui, les 6 millions d'euros annoncés « s'il n'y a pas de pépin, c'est le minimum pour remplacer les pompes qui
doivent l'être, conforter les équipements, les branchements électriques. Il faudrait plus ». Au moins 10 millions d'euros, évalue-t-il. S'il reconnaît que l'État a pris la mesure du
problème, « on n'a, en revanche, pas réussi à faire en sorte qu'un ministère prenne le dossier en main. » Le fait que les ouvrages de protection du littoral soient gérés par les
communes, les conseils généraux et l'État ne simplifie pas la donne. Julien Hénique, de la DREAL, le reconnaît « il y a toujours des problèmes de propriété, d'entretien, de responsabilité.
Ce système n'est plus pérenne » . wFl.T.