le 6 mai 2010
Cher Dany,
Chère Cécile,
1) Nous vous adressons, en toute amitié, cette
lettre ouverte. Nous sommes des "jeunes", venus à Europe Ecologie (et en politique !) il y a quelques mois.
Nous n'avons ni la mémoire ni les cicatrices qui sont la marque des vieux militants de partis. Nous avons aimé Europe Ecologie – et nous l'aimons encore. Nous aimons qu'elle soit une équipe qui
gagne ! Nous avons été touchés par la manière dont ses dirigeants nous ont fait confiance, en nous chargeant de premiers rôles. Les militants et les élus du parti des Verts ont joué le jeu :
celui de la parité au sein des CAP, celui de l’équilibre entre Verts et nouveaux venus sur les listes pour les élections régionales. Nous avons fait campagne ensemble, avec enthousiasme,
détermination et efficacité. Nous avons travaillé ensemble pour que les responsabilités, au sein ou autour des conseils régionaux, soient réparties équitablement. Nous avons prouvé ensemble
qu’Europe Ecologie était non seulement viable, mais porteuse d’espoir.
Les électeurs nous ont donné raison. Europe Ecologie existe, pour
la deuxième fois, sur la scène politique française, à une hauteur que l'ancien parti des Verts, seul, n'avait ni atteinte ni même imaginée. Avec Europe Ecologie se dessine une force écologiste
qui se compare à ce qu'a été le parti des Verts en Allemagne. Elle prolonge et concrétise les aspirations des grands visionnaires de l’écologie. Elle donne corps au projet coopératif ; elle
place, pour la première fois, la solidarité (avec la planète comme avec les hommes et les femmes de ce monde) au coeur de la décision publique. Elle renouvelle la vision du bien commun pour
l’accorder aux défis de ce temps. Elle donne à une sensibilité de plus en plus répandue en France, qui refuse aussi bien le libéralisme que l’étatisme, une incarnation politique. Elle replace
l’éthique à la première place. Elle peut ainsi amener notre pays à mieux répondre, en termes politiques, à l'urgence écologique, à l’urgence sociale, à l’urgence démocratique.
C'est l'urgence écologique qui nous a amenés, tout d’abord, à
rejoindre Europe Ecologie. Sa perception nous tenaille. Nous avons la conviction qu'une réponse robuste à cette menace globale est le sujet prioritaire, aujourd'hui, pour quiconque se sent habité
par un engagement citoyen. Nous sommes persuadés qu'à cette menace il n'existe pas de riposte neutre : les hommes ne se sauveront que s'ils savent remettre en question le modèle économique et
social qui les conduit au désastre, et combattre la domination des forces d'argent : la seule riposte qui vaille doit être une riposte de gauche. Elle doit être aussi, radicalement, marquée
par l'éthique et la solidarité.
Nous sommes partisans, et voulons être artisans, d'une démocratie
renouvelée, inspirée par une éthique intransigeante et une double solidarité : à l'égard des plus fragiles aujourd'hui, ici et à l'autre bout du monde ; à l'égard des générations qui nous
suivent. C'est dire que notre démarche se place en même temps sous la préoccupation première du long terme.
Globale et anticipatrice, cette démarche doit avoir aussi une
dimension "locale" : elle doit reconnaître aux citoyens, à la société civile et aux institutions décentralisées, les plus larges responsabilités.
De telles priorités sont à nos yeux supérieures. Elles sont d'un
autre niveau que la "préservation de l'environnement" ou "la protection de la planète", à quoi se réduit pour beaucoup l'écologie. En matière d'environnement, nos exigences sont élevées : nous
militons pour une toute autre relation à la nature et aux ressources matérielles et pour une mutation de nos manières de consommer, de produire, de vivre. Mais ceci n'est pour nous qu'un volet,
politiquement lié aux approches sociales, économiques et éthiques, d'une démarche d'ensemble. Celle-ci constitue la réponse politique à l'urgence – la crise – écologique.
2) Avec vous, nous sommes d'accord sur ceci : les profonds changements
économiques et sociaux qui sont devant nous, nous devons les conduire et non les subir.
Pour cela, il faut deux choses. D'abord une démarche politique :
il s'agit de changer les rapports de force – bien au delà de la distribution des richesses – dans la société occidentale et globale. Ensuite un mouvement politique, qui soit soutenu par une
fraction significative des citoyens de ce pays – et plus largement d'Europe – un mouvement respecté, qui joue „dans la cour des grands“. Il doit être radical et solide dans son projet
démocratique, ou mieux "citoyen", dans son organisation et son ancrage ; il doit encore être ferme dans ses attitudes, en dépit des vents court-termistes, catégoriels et égoïstes – l'inverse même
de la manière dont est gouvernée la France actuelle, où, sur toutes les questions importantes et notamment sur l'environnement, les reculades suivent les rodomontades.
3) Europe Ecologie peut être la réponse, en cette année 2010, à cette attente.
Europe Ecologie a fait ses preuves du côté de l'électorat. Elle doit remédier à diverses faiblesses et incomplétudes, liées à l'empirisme heureux qui a présidé à sa naissance et à ses premiers
pas. Sa "structuration", et la clarification de sa relation, en son sein, avec les Verts, sont indispensables et urgentes.
Face à ces sujets dans lesquels certains amis s'empêtrent, et à
propos desquels ils font trop souvent référence à des épisodes passés, nous nous permettons d'adopter une attitude simple mais qui nous apparaît fondatrice :
a) Europe Ecologie doit devenir dans les six mois un parti
politique de plein exercice ; celui-ci élira, fin 2010, ses organes dirigeants ; l’adhésion à Europe Ecologie donnera le droit à chacune et à chacun de participer démocratiquement à cette
démarche.
b) Europe Ecologie doit assumer clairement sa filiation avec les
Verts et, en même temps, constituer un dépassement des formes obsolètes du parti et du "rassemblement“ basées sur la juxtaposition et la recherche d’équilibres entre des groupes. C’est une
dynamique nouvelle qu’il faut créer où chacune et chacun peut adhérer et être partie prenante. Les adhérents des Verts doivent être désormais adhérents d’Europe Ecologie et participer à
l'ensemble de ses instances et organes. De même, les militants et sympathisants issus de la "société civile“ doivent être accueillis au sein d’Europe Ecologie dès lors qu’ils se reconnaissent
dans ses valeurs fondatrices et doivent participer à l’ensemble des décisions. Cette participation doit être statutairement organisée ; le renouvellement des organes de tout niveau doit être
assuré par l'attribution d'une part équitable des sièges aux adhérents récents. Enfin, la parité doit être de règle.
c) Europe Ecologie doit être une "coopérative", c'est à dire un
mouvement fonctionnant sur le principe "une personne / une voix".
d) une charte, énonçant les valeurs fondatrices et résumant le
projet d'Europe Ecologie, doit être formellement acceptée par les candidats à l'adhésion et les cotisants. Cette acceptation et cette cotisation seront accompagnées d'engagements politiques et
déontologiques.
e) un dispositif de transition, permettant de faire vivre le
contact entre Europe Ecologie, les électeurs et les sympathisants, comme avec l'opinion publique, doit être organisé dès ce mois de mai 2010 – comme il a commencé à l'être par la mise en place de l’adhésion directe à Europe Ecologie que nous appelions de nos voeux.
Sur un mode amical, nous invitons tous les participants à Europe
Ecologie à mettre en sourdine leurs tensions et à ne pas se fixer sur des clivages anciens. Le système que nous proposons fait sa place à chacun : il respecte les Verts comme les „non Verts“. En
retour, chacun doit tourner la page sur les querelles passées, sans avoir, bien entendu, à baisser pavillon ni sur les convictions qui nous unissent, ni sur l’esprit critique sans lequel la
démocratie est menacée.
4) Pour les mois qui viennent, nous avons ainsi à conduire une double démarche,
d'organisation d'une part, de construction de notre projet, et d'adoption de notre charte, d'autre part.
Ces chantiers, sur lesquels nous avons esquissé au début de cette
lettre quelques repères, doivent constituer, au cours des prochains mois, l'axe majeur de notre travail commun. Pour leur élaboration, nous devons suivre le calendrier adopté par le CNIR et le
CAP de mars 2010. Le projet doit respecter une logique ascendante, partir des territoires, s’appuyer sur les dynamiques et les synergies locales et régionales, associer les militants Verts, les
adhérents à Europe Ecologie et les acteurs associatifs. Le processus doit permettre que, progressivement, des idées-forces émergent et s’imposent.
Nous devons conduire le travail relatif au projet et à la charte
dans un esprit positif et constructif. A chaque obstacle ou difficulté, nous devons essayer de trouver une solution qui permette d'avancer, en vue de construire une démarche politiquement
convaincante. Faisons prévaloir cette attitude sur les considérations ou opinions, se référant notamment à nos passés riches et multiples, qui risqueraient d'entraver, de fourvoyer ou de
compliquer inutilement le processus.
5) D'autres questions de première importance restent à trancher. Au premier rang
: les attitudes à adopter dans la perspective des échéances de 2012.
Nous vous invitons à laisser ces problèmes de côté pour les six
mois qui viennent. Nous les aborderons à partir de la fin de l'automne 2010, c'est-à-dire lorsque, suivant les propositions ci-dessus et le calendrier du CNIR et du CAP, nous aurons adopté notre
projet et notre charte, d'une part, et organisé notre nouveau parti, d'autre part. Chaque chose en son temps : si nous sommes d'accord, dans les six mois qui viennent, pour nous consacrer à ces
deux tâches, abstenons-nous de nous prononcer sur des sujets qui requièrent que notre mouvement ait été stabilisé et soit en mesure de décider de manière transparente et démocratique.
Europe Ecologie, contrairement à d'autres forces politiques éphémères, n'est pas d’abord construit
pour porter la candidature d'une personne à l'élection présidentielle, mais bien plutôt pour présenter un projet politique radicalement nouveau, qui rassemble nos concitoyens à chaque élection
selon les modalités les plus appropriées à l'avancée de ce projet.
6) Enfin, cher Dany et chère Cécile, tendez-vous la main et asseyez-vous côte à
côte, comme le 16 avril lors d'une réunion de travail à Paris. Faites ainsi en sorte que, partout, ceux et celles qui se reconnaissent dans les valeurs d’Europe Ecologie fassent de même. En
donnant la priorité au travail interne de construction du projet et au montage de notre future organisation, vous nous inviterez à un travail sérieux et approfondi. Le rendez-vous avec les media,
à l'automne prochain, sera d'autant plus réussi que nous aurons, vous et nous tous, sans éclats inutiles, mis l'ouvrage sur le métier et produit des résultats.
7) Dans l'intervalle, il faudra de temps en temps exprimer des positions, par votre bouche ou celle de certains
d'entre nous : par exemple sur les retraites, sur le G20, sur l’éducation, sur des événements importants et imprévus. Organisons, s'il vous plaît, pour de telles circonstances, un système de
concertation rapide mais efficace qui permette de construire des prises de position concertées ; il faut que tous ceux qui s'expriment au nom d'Europe Ecologie aient le réflexe de s’inscrire
dans un collectif. Cette concertation doit se faire de manière souple mais systématique, en articulation avec le Bureau Exécutif. Elle doit permettre à Europe Ecologie, dès maintenant, de jouer
dans le débat public le rôle qui revient à la troisième force politique de notre pays. C’est dès aujourd’hui que la crédibilité d’Europe Ecologie se joue. C’est notre capacité à travailler
ensemble et à nous exprimer sereinement qui convaincra les citoyens réticents. L’enjeu est trop important à nos yeux pour rater un rendez-vous crucial. Europe Ecologie doit prouver qu’elle est
une dynamique qui rassemble et qui convainc.
Bon vent à nous tous !
Paris et Lyon, le 6 mai 2010
Robert
Lion
Eric Loiselet
Philippe Mérieu